Curieuse coïncidence de l'écriture, j'avais envie d'écrire un billet sur la vérité et le mensonge, et j'apprends qu'un blog assez étonnant sobrement nommé « le blog d'un condamné » a été en fait écrit par un certain Ploum.
Je suis assez surpris qu'il en soit l'auteur, le connaissant plutôt pour ses traits d'humour linuxiens, entre autres. Si vous ne connaissez pas ce blog d'un condamné, le sujet est simple : l'auteur a appris qu'il va mourir dans 30 jours, donc potentiellement chaque billet est son dernier. Au fil des jours, on va apprendre les questions qui lui passent par la tête.
Le blog en question a connu un certain succès, ayant plus de 8000 suiveurs sur Twitter par exemple.
Curieusement, un aspect m'a surpris : de très nombreux gens se sont d'abord posé la question de savoir si ce condamné était une personne réelle ou fictive. Certains sites ont même longuement étayé sur le sujet, souvent même plus que sur le propos lui-même.
En fait, quelque part, cela me dérange. À croire qu'une histoire ne peut être que vraie ou crédible que si elle est racontée par quelqu'un qui vit vraiment cette histoire. À croire qu'aucune histoire fictive ne puisse véhiculer une vérité. Vous vous imaginez dire à la Fontaine « mais un Renard et un Corbeau qui parlent, c'est un mensonge !» ?
Pourtant, sans avoir envie d'expliquer longuement pourquoi, j'ai la conviction que certaines personnes pourront se poser les mêmes questions que ce condamné dans un cas de figure analogue. Planter des légumes et se dire qu'on ne sera pas là pour les récolter. Avoir un bébé et se dire qu'on ne sera pas là quand il passera son bac par exemple. Ou encore se dire qu'un visage aimé puisse être vu la dernière fois. Prendre réellement conscience de sa « finitude » est une expérience assez singulière, pas forcément traumatisante ou terrifiante.
La seule conclusion que j'ai, c'est que si on me disait que je n'avais plus que 30 jours, je me rendrais compte que je n'aurais pas assez de 2 vies pour m'occuper de l'essentiel.
Qu'on ne me fasse pas dire ce que je n'ai pas dit : je suis au courant qu'on trouve tout et n'importe quoi sur Internet, c'est même Abraham Lincoln qui l'a dit le premier.
Je ne sais plus qui a dit : « les poètes utilisent le mensonge pour dire la vérité ». J'aime cette citation. Je peux tout à fait avoir conscience qu'on me mente, et pourtant voir une vérité dans le propos. Ce qui m'effraie, c'est qu'il n'y ait un jour plus de personnes intermédiaires entre « je crois aveuglément tout ce que je lis » et « je ne décortique que l'origine du propos ».
À titre personnel ou professionnel, je mens tout le temps. Quand je prends une métaphore pour expliquer quelque chose à un client qui ne comprend rien aux sites Web, c'est un mensonge. Quand je dis à un gamin qu'il doit être sage pour que le Père Noël lui apporte ses cadeaux, c'est un pieu mensonge (tout le monde sait que c'est le Saint-Nicolas qui récompense les bons élèves). Et pourtant, il y a bien une part de vérité là-dedans.
Un dernier exemple : lors de la Kiwi Party, j'ai pu discuter avec un de mes héros du Web, à savoir Tristan Nitot. Nous parlions d'un excellent orateur – non présent – dont je suis très admiratif, notamment pour ses capacités de communication et sa capacité à faire des présentations improvisées au dernier moment digne d'un grand conteur. Tristan m'a dit « tu sais, c'est une impression, il doit sûrement stresser ».
Bien sûr.
Mais cela me plait de croire à ce « mensonge ». Car si je pense que cette personne le fait, alors je crois que je peux essayer aussi.
Comme je le disais en commentaire de l’article de Ploum :
Remarque que j’y croyais relativement… Enfin… qu’il y ai réellement un condamné écrivant ces lignes n’a pas d’importance : des condamnés, il y en a ; un gars écrivant ces lignes, il y en a aussi un ; c’est tout ce qui importe. Est-ce que c’est réel ? Bien sûr que c’est réel ! Cela ne peut être que réel : soit dans notre réalité de matière et de société humaine, soit dans la réalité de l’esprit d’un écrivain brillant. Ce personnage existe-t-il ? Mais certainement ! Ne serait-ce que dans l’imagination d’un auteur pensant ! Mais dans notre monde ? Ce personnage, s’il est imaginaire, ne peut que dériver d’une réalité observée, étudiée, refaite, remixée, rapportée. Quoi qu’il en soit, cela n’a pas d’importance, je lis ces lignes, et — ne connaissant la réponse — l’effet est le même, le message est le même, les émotions sont les mêmes, la vie est la même.
Il y a néanmoins une chose qui avait de l’importance : la preuve que l’on peut rester matérialiste dans un tel état, alors même que l’euthanasie devient acceptable.