Dans l'étrange petit monde de la réalisation de sites Web, tout le monde essaie de progresser. Tout ? Non ! Un petit village résiste encore et toujours à l'envahisseur, ce village s'appelle l'agence print, que je vais surnommer « Madame Print » pour l'occasion.
Cette Madame n'est ni pire ni meilleure qu'autrui, toutefois, elle est souvent source de frustration voire de colère extrême pour les intégrateurs et autres développeurs de tous poils. Sa potion magique est la suivante : le Web, c'est du print.
Partant d'un tel postulat, il est aisé de comprendre que l'approche Web de Madame Print ne peut que faire des étincelles. En résumant très vulgairement, le print, c'est le domaine où l'on contrôle tout : la typo, la mise en page, etc. Le print, ce sont les cohortes de Jules César : parfaitement ordonnées, rien ne dépasse, tout est sous contrôle.
Évidemment, vouloir tout contrôler sur le Web… ahem. Oui, pour peu qu'on connaisse un peu ce média, c'est par essence complètement impossible : l'utilisateur ayant le dernier mot en toute circonstance, il peut donc sabrer la présentation en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire (ne parlons même pas des contenus que l'utilisateur peut mettre sur le site). En soi, ce n'est pas un mal, mais pour Madame Print, c'est un crime de lèse-majesté.
Au final, le Web est vu par Madame Print comme un sous-média : par exemple, la typo y est malmenée, les navigateurs sont toujours insuffisants dans ce domaine. D'ailleurs, le site Web est un perpétuel frein à la créativité selon Madame Print. Cette dernière ne voit pas des pages Web, mais des pages tout court. En résulte la célèbre complainte des intégrateurs « y a aucune cohérence dans les styles du site ». Peu importe pour Madame Print.
Si Madame Print lâchait un peu plus prise, ses designs ne seraient pas si mal, néanmoins… elle ne connait pas les règles du Web, donc elle sort de temps en temps – très souvent – un concept non-sensique, une navigation farfelue, des maquettes avec tellement de contraintes que l'intégrateur sait déjà que le projet part au casse-pipe. Les sites en « background-first » sont par exemple une invention de Madame Print, avec le brief « poussez les contenus, le texte ne sert à rien » en guise de mot d'ordre.
On parle de contraintes, mais Madame Print est une experte de l'oubli, toujours parce que Web = print. Combien de fois vous enverra-t-elle une maquette sans un lien dans le contenu et donc sans aucun style pour l'élément le plus important du Web, le lien ? Ne parlons même pas des titres Hx
, mais pourquoi voudriez-vous mettre des titres et des sous-titres, on n'est pas dans un document administratif enfin !
Curieusement, si Madame Print est toujours prompte à critiquer les navigateurs web – honteusement incapables de rendre correctement de la typo de base –, Madame Print se lâche sur les mêmes règles de typo qu'elle défend pourtant ardemment : combien de textes sans majuscules, de méconnaissance complète des règles de typographie selon les langues, de textes en gras mis entre parenthèses (important mais pas important donc), etc.
Vous noterez au passage que quand Madame Print vous demande de développer un site, les délais sont ridiculement courts. Normal, faire un site n'est pas un vrai métier pour Madame Print. Habituée des environnements maîtrisés, elle ne peut pas comprendre pourquoi selon le navigateur, le rendu peut varier. D'ailleurs, intégrer un site est une histoire de tableau pour Madame Print : comment voulez-vous contrôler tout au pixel près sans ?
Ne parlons pas de mediaqueries avec Madame Print : on parle de site en version iPad, iPhone. Allez donc lui faire comprendre que c'est la même CSS qui fait le job ! Si vous avez un peu de chance, le monde du smartphone ne l'inspirant pas – pas assez de place pour exprimer sa créativité –, elle vous sortira un « débrouillez-vous pour le mobile ». Oui, cela m'est arrivé à plusieurs reprises, et c'est le pied !
Si le front-end est une inconnue pour Madame Print, alors le back-end, c'est la plongée dans l'horreur : pourquoi parler de contenus alors qu'on parle de pages ? En plus, l'idée qu'un contenu puisse dépasser de la zone prévue pour cet effet ne risque pas d'effleurer Madame Print. « Mais le titre va s'afficher sur une ligne ! » vous dira-t-elle. Oui, mais non.
Bien sûr, Madame Print va être prompte à fustiger le CMS, sans bien évidemment se rendre compte que son design non-sensique n'est pas compatible avec une gestion de contenu, c'est juste mal pensé.
Idem pour une boutique en ligne, Madame Print va faire un truc joli, mais ne pas penser à la mise à jour de cette boutique, grosso modo où il faudra refaire le site. Mais compte tenu du temps ridiculement court qu'elle vous donne pour faire un site et de sa structure de pensée plutôt « baroque », le raisonnement se tient. Ou pas.
D'ailleurs, on blâme le CMS, mais Madame Print exècre également les systèmes de gestion de contenu : impossible de styler, toutes les pages s'affichent ennuyeusement de la même façon. Vous aurez beau lui expliquer qu'une bonne ergonomie implique d'avoir tous les éléments au même endroit et cohérents entre les pages, que nenni, c'est un frein à la créativité de Madame Print.
Voila, ce ne sont que quelques aspects de la personnalité de Madame Print. La bougresse est plus bête que méchante – quoi que –, tout simplement car son postulat conscient ou inconscient est de vouloir faire avec le Web ce qu'elle faisait en print. Bien sur, le Web étant jeune, Madame Print ne voit pas de raison d'évoluer, cette mode du Web ne sera pas durable, on finira par faire le Web comme elle a toujours appris…